Recherche par une ex défenseure des mineurs

L'histoire d'un jeune de 17 ans, accompagné de sa mère.

Recherche par une ex défenseure des mineurs

Jeune de 17 ans, accompagné de sa mère.

Témoignage rédigé moins d’un mois après le retour.

Javier – Un retour fondateur à l’aube de la majorité.

Mère d’un fils biologique, j’ai adopté mon second fils en 2007. Javier avait alors neuf ans et demi. Dès son adoption, et parce qu’il s’agissait d’un « grand » avec lequel on pouvait discuter de choses de « grands », je lui avais d’entrée promis que nous retournerions un jour en Colombie : plus particulièrement à Buga, d’où il est originaire, et à Cali, où nous avions séjourné ensemble pendant la semaine d’intégration et les démarches administratives.

Ado, Javier n’a donc pas eu à formuler lui-même la demande, puisque l’affaire avait toujours été entendue. Les années passant, nous avons fixé la date de ce voyage en 2014 : à dix-sept ans, Javier nous semblait alors suffisamment mature pour profiter pleinement de ce « pèlerinage aux sources ». Plusieurs fois au cours de nos conversations, je lui avais dit que si il le souhaitait, nous profiterions de ce voyage pour faire des recherches sur ses parents de naissance ainsi que sur son frère, de 4 ans son aîné. Javier, qui n’a pas de mauvais passif vis-à-vis de ses parents biologiques (l’enfant leur avait été retiré par les services sociaux parce qu’il mendiait et n’était pas scolarisé) semblait motivé par cette démarche, sans que celle-ci devienne toutefois obsessionnelle par rapport au reste du voyage. Chaque fois que nous en avions parlé, je lui rappelais que cette quête pouvait se solder par un échec (impossibilité de retrouver sa famille) ou une déception (par rapport à ses souvenirs ou à ses fantasmes). Il était donc préparé sinon au meilleur des aboutissements, du moins au pire… Mon idée était de passer une quinzaine de jours sur place avec lui, et qu’il séjourne trois semaines supplémentaires « en solo » chez des relations sûres, de façon à profiter au maximum de ce voyage qu’il n’aurait peut-être pas l’occasion de refaire de sitôt. Je savais qu’il était parfaitement capable de gérer ce séjour en « autonomie », une expérience qu’il avait déjà menée aux Etats-Unis. J’ai donc fait appel à mon petit « réseau » – c’est-à-dire aux personnes avec lesquelles je suis toujours restée en contact depuis l’adoption de Javier : sa défenseure L., son avocate F., ainsi que les responsables locaux de la fondation franco-colombienne au sein de laquelle je parraine un enfant. Comprenant l’importance de ce séjour pour Javier (reprise de contact avec son pays de naissance, recherche des origines, réapprentissage de la langue…) mes trois « contacts » ont immédiatement accepté de « se partager » Javier pendant la durée de son séjour. Sa défenseure, elle, m’a proposé d’initier les recherches du côté de sa famille avant même notre arrivée. Je lui ai donc transmis la copie du certificat de naissance d’origine de Javier, ainsi que les adresses qui – miracle ! – figuraient dans son dossier (maison natale et dernière adresse connue de ses parents de naissance).

Avant même notre départ pour la Colombie, elle nous apprenait le décès du père de Javier –l’événement n’était pas récent, puisqu’il remontait à 2009. Bien qu’il n’ait pas revu son père depuis une dizaine d’années et qu’il n’en conserve que de vagues souvenirs, Javier accuse le choc. Il m’avoue aussi qu’il s’en doutait un peu, son père étant âgé et ayant des problèmes de santé. Mon enquêtrice ajoute qu’elle s’est aussi renseignée du côté de sa mère, laquelle aurait déménagé dans une autre cité (Palmira), et dont il sera probablement difficile de retrouver la trace. Le frère de Javier, lui, vivrait toujours à Buga, dans la rue, et serait sous l’emprise de drogues… Nous prenons l’avion plutôt sceptiques sur une issue positive de nos recherches à venir…              

Après une semaine passée à Cali et aux environs (visites, tourisme…), nous rejoignons Buga où nous sommes accueillis par L.. L’ex-défenseure de Javier n’a pas de nouveau depuis son dernier courrier mais nous propose de poursuivre les recherches en sa compagnie. Au préalable, nous nous rendons avec elle dans la famille d’accueil où Javier a séjourné 9 mois, ainsi que dans l’orphelinat où il a également vécu 9 mois, juste avant son adoption. Beaucoup d’émotion pour notre fils qui (lui que j’ai rarement vu pleurer) essuie furtivement une larme…

Nous voilà dans les rues de Buga où nous poursuivons les recherches en direction du frère de Javier en compagnie de L. à partir des adresses que nous possédons. Les voisins (et voisins de voisins) nous envoient d’une porte à l’autre. Passé un premier moment de méfiance, tout le monde semble content de renseigner des étrangers, certains nous assurant même que « Oui oui, nous voyons souvent son frère ! Il passe ici tous les jours ! Je lui dirai ! ». Nous laissons le N° de portable de L., mais personne ne rappelle. Lors de son ultime démarche, L. s’entend dire que le frère serait passé dans le quartier et qu’il aurait fait part de son l’intention de séquestrer Javier pour demander de l’argent à ses parents adoptifs. Par prudence (et bien qu’il ne s’agisse probablement que de fanfaronnade), L. et moi décidons d’un commun accord d’arrêter les recherches et de ne plus chercher à rencontrer ce frère. Je dois rentrer en France. Javier, lui, demeure dans la famille de sa défenseure pour trois semaines supplémentaires. Quelques jours après mon retour, les choses se débloquent. Javier rencontre son frère C.. Moment d’émotion, même si ce frère vit dans la rue et semble consommateur de drogues. Je reçois la photo des deux frères : ils se ressemblent un peu, même si leurs attitudes devant l’objectif sont très différentes – C. triste et avachi, Javier fier et lumineux. C. sait où est leur mère : à Palmira, une ville distante d’une heure environ, dans une institution pour personnes indigentes dont il a les coordonnées. Il ne l’a pas vue depuis plus d’un an. L. propose de les y emmener tous les deux et rendez-vous est pris pour la semaine suivante. Dans l’intervalle, ils se rendent au cimetière de Buga où ils retrouvent facilement la tombe de P., le père de Javier : un simple tumulus herbeux. Cette vision le peine et il aimerait l’enterrer décemment (on lui dit que le corps va être levé prochainement pour rejoindre une fosse commune). L’exhumation du corps et son ré-ensevelissement dans un ossuaire sont programmés quelques jours plus tard.

L. emmène C. et Javier à Palmira, dans l’institution où se trouve la mère des deux jeunes. Après l’avoir brièvement préparée à cette visite, elle fait rentrer les deux frères. La maman étreint son fils aîné C. et tend simplement les mains à Javier, qu’elle ne reconnaît pas (elle ne l’a pas vu depuis près de dix ans). Ses propos sont parfois incohérents (ses fréquentes crises d’épilepsie ont influé sur son état mental), elle ne se souvient plus de son âge et se met à rire souvent hors de propos, comme lorsque Javier lui annonce qu’il a été adopté (elle le croyait toujours dans les services sociaux de Buga). Elle leur montre ses dessins (« bizarres et glauques », dira Javier), ses tricots. Alors qu’ils s’apprêtent à repartir, elle demande à Javier s’il reviendra. Il répond qu’il ne sait pas quand, qu’il doit maintenant retourner en France faire ses études. Elle rit. Ils se séparent. Javier se dira déçu (elle ne ressemble plus, ni physiquement, ni mentalement, à l’image qu’il avait gardée d’elle), mais apaisé de l’avoir revue et, surtout, de ne plus l’imaginer dans la rue. Il prend toutes les coordonnées de l’institution, afin de se donner une possibilité de rester informé sur son devenir. L’enterrement a lieu le lendemain en présence des deux frères qui se sont donné rendez-vous au cimetière. L’exhumation du corps (enterré dans un linceul à même la terre, puis glissé dans un sac) est       suivie d’une courte cérémonie religieuse, puis du placement de la dépouille dans un ossuaire. La veille de son départ, Javier reviendra poser une simple plaque gravée du nom de son père de naissance, ainsi que de ses dates de naissance et de décès. La quête de Javier s’achève presque en même temps que son séjour. Ces recherches parfois lourdes n’ont pas entravé le bonheur qu’il a pris à redécouvrir son pays d’origine, où il a effectué de nombreuses sorties entre jeunes en compagnie de M., la fille de sa défenseure. Malgré l’émotion des rencontres et des démarches effectuées, ce voyage semble avoir été très positif dans sa globalité. Dès son retour en France, Javier se dit apaisé par rapport à sa famille d’origine. Il déclare ne plus vouloir revoir son frère (avec lequel le courant n’est pas passé, et qui lui a demandé de l’argent à plusieurs reprises) et se dit rassuré par rapport à sa mère. Il ne regrette rien et dit « savoir où est sa place désormais ». Les choses sont ce qu’elles sont, mais il n’y a plus d’ombre – et surtout pas de non-dits. Ce voyage – qui a souvent eu des allures d’une quête initiatique ! – est encore trop frais pour en tirer davantage de conclusions. Mais je suis persuadée qu’à l’aube de sa majorité, il sera fondateur pour Javier, et l’aidera, par-delà les blessures de vie, à s’épanouir dans la sérénité.

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